Le syndicat Unité SGP-Police vient d’écrire au préfet des Pyrénées-Atlantiques pour lui demander d’interdire la nouvelle publicité des poulets de Loué. Celle-ci représente un policier en uniforme juché sur un tracteur équipé d’un gyrophare. En légende :
" Depuis 1958, un bon poulet est un poulet libre. "
Ridiculiser la profession ?
" Avant, l’uniforme représentait quelque chose. Maintenant, pour gagner quelques sous, on en vient à ridiculiser une
profession ", déclarait à Sud-Ouest Joseph Cilluffo, le secrétaire départemental du syndicat.
"Nous avons un certain sens de l’humour, mais ce qui nous gêne, c’est que la
société Loué a déjà tourné en dérision notre profession dans une de ses pubs " ajoute Frédéric Chauvin, chargé de com’ Unité SGP-Police pour les Pyrénées-Atlantiques.
Loué : " Pas de crime de lèse-majesté "
En juillet 2010, une publicité Loué avait déjà suscité la colère des syndicats. Elle représentait un officier de police
devant une fourgonnette bondée de collègues, avec le slogan :
" Poulet de Loué élevé en liberté. "
" La première affiche est collector, on en a tiré 9 000 exemplaires ", rétorque Yves de la Fouchardière, directeur
général de la coopérative des poulets de Loué, sur France Info. " Suivant nos comptages, 500 ou 600 gendarmeries et commissariats l’ont revendiquée et l’ont affichée. Il n’y a pas de crime de
lèse-majesté, au contraire. "
D’où vient le surnom de " poulets " ?
L’origine du surnom " poulets " remonte au XIXe siècle et donne un aspect quasi patrimonial, affectueux à
l’appellation.
La préfecture de police rappelle qu’en 1871, soit un an après avoir changé de nom officiel (les "sergents de ville"
deviennent les "gardiens de la paix "), Jules Ferry met à disposition de la préfecture la caserne de la Cité pour en faire son siège.
Cette caserne a été bâtie sur l’emplacement de l’ancien marché aux volailles de Paris. Rapidement, le sobriquet de "
poulets " est donné aux policiers. On dit aussi "poulaga " (" la maison poulaga " désigne la police au sens large), " poulard",
voire " perdreau ".
Plus populaire, et mieux partagée de génération en génération que les surnoms " condé " ou "
keuf", la métaphore animale du poulet contribue à faire du policier « un familier ».
Mike, le poulet sans tête.
Dans les années 50, une flopée d’écrivains donnent une couleur populaire et presque affectueuse à la métaphore du policier en
poulet : chez San Antonio, Simonin ou même Hervé Bazin.
Mais à la même époque aux Etats-Unis, l’histoire de " Mike, le poulet sans tête " ( un poulet qui aurait survécu, la tête
coupée )est immortalisée par Life et amuse la presse populaire. Elle interroge sur la capacité d’un poulet à survivre sans son cerveau.
Insidieusement, Mike s’inscrit dans une tradition bien plus ancienne qui fait du poulet un symbole de bêtise. Cette tradition
littéraire, symbolique, donne au poulet toutes les caractéristiques de l’animal idiot, dupe, sans défense, victime des gros carnassiers. Chez La Fontaine, l’incarnation de la bêtise.
La Fontaine utilise les animaux pour parler des mœurs des hommes. Dans son bestiaire, la volaille incarne la bêtise par
excellence. A part Le Coq et le renard , on trouve chez le fabuliste quantité de poèmes égratignant l’image de la volaille :
- une poule jeune et sage qui se fait par exemple avoir sottement par un renard dans
La Poule et le renard ;
- dans Le Renard et les poulets d’Inde , de jeunes dindons sont hypnotisés par leur ennemi et
tombent dans son piège comme des bleus ;
- dans Le Coq et la perle , le volatile préfère bêtement " un grain de mil " à une perle
;
- dans Les Deux Coqs, la fable présente un perdant honteux et un gagnant que la vantardise conduit à la
perte .
Côté pile, le poulet stupide de La Fontaine, donc. Côté face, le poulet sacrifié du Ministère Amer.Sacrifice de poulet
par le Ministère En 1995, le ministère de l’Intérieur porte plainte contre le Ministère Amer pour leur chanson Sacrifice de poulet sur la bande originale de La
Haine Il écope d’une amende de 250 000 francs, entre autres pour " provocations directes non suivies d’effets envers les fonctionnaires de police "
La Fontaine et le Ministère Amer semblent l’emporter sur l’anecdote historique du marché aux volailles. C’est sans doute
cette image prospère, tenace du poulet écervelé ou du poulet qui passe à la casserole qui cristallise aujourd’hui la vexation de policiers autour d’une pub somme toute assez anecdotique. Le
service marketing de Loué, lui, est ravi.
Peut-on trouver ces poulets, plumés et vidés, au marché de Brive-la-Gaillarde ?
Source : R89