Joe Dalton ou Iznogoud ? On hésite... Joe Dalton irascible, qui dégaine à tout va, Joe Dalton qui se met en transe quand il entend le nom de François Hollande. Ou bien Iznogoud colérique et intriguant, qui ourdit une manoeuvre transparente avec le Front national pour rester calife à la place du calife... Nicolas Sarkozy, pour ce deuxième tour, a choisi des rôles étranges pour un président sortant. Voilà qui ne grandit guère, on en conviendra, le débat présidentiel.
Il faut décidément qu’une noire panique se soit emparée de l’Elysée pour que le véhicule sarkozyen se change ainsi en missile fou, à la trajectoire baroque dans sa course erratique vers l’extrême-droite. On entend ainsi que 700 mosquées ont appelé à voter pour le candidat socialiste. Aussitôt une vision d’horreur s’installe : une légion de muezzin psalmodiant dans tout le pays, à l’heure de la prière, le cri de ralliement : "Hollande Akbar !"
On entend encore que les socialistes vont régulariser massivement les sans-papiers alors qu’ils clament le contraire depuis plus de 15 ans. On entend surtout que le Front national "est compatible avec la République", que la "préférence nationale" est un concept acceptable, qu’il y a "trop d’immigrés en France" pour pouvoir les intégrer.
Jamais un leader de la droite classique n’avait à ce point adopté, assimilé, légitimé, les thèses du Front national. Tout est bon pour rallier des électeurs qui, selon toutes probabilités, se détermineront tout seuls. François Bayrou, Jean-Pierre Raffarin, Chantal Jouanno ont dit sur cette embardée ce qu’il fallait dire. Le mot de Churchill revient en mémoire. Pour éviter la défaite, vous avez choisi le déshonneur du ralliement au Front. Vous aurez le déshonneur et la défaite.
Le quinquennat avait commencé au Fouquet’s, il s’achève à Hénin-Beaumont. De Bernard Arnault à Marine Le Pen : voilà le projet politique qui nous attend si Nicolas Sarkozy est réélu. Plus que jamais, les républicains doivent se retrouver pour restaurer la République, c’est-à-dire tous les Français qui refusent de voir la France, dans une synthèse nouvelle et dangereuse, conjuguer libéralisme et nationalisme pendant les cinq ans qui viennent.
Dans cette conjonction inédite, les électeurs de François Bayrou doivent se mettre en travers, tout comme ceux de Jean-Luc Mélenchon. De Bayrou à Poutou, il faut tout faire pour barrer la route au Joe Dalton de l’Elysée.
Par Laurent Joffrin
Directeur du Nouvel Observateur