par Mathieu Magnaudeix
Comme beaucoup de ses patients, le travail l'a usée. Et comme beaucoup d'entre eux, ses trente ans de carrière à l'hôpital se terminent par un licenciement pour«inaptitude physique». Cruelle ironie pour Marie Pezé, psychosomaticienne au Centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre depuis trente ans, une des premières à avoir lancé en France une consultation sur la souffrance au travail, en 1997.
Jeudi 8 juillet 2010, elle s'est rendue à son entretien préalable. Mardi 20, elle a reçu une lettre de son employeur: licenciée pour «inaptitude physique». Souffrante, son état de santé se dégradant, elle tentait d'obtenir depuis plusieurs mois un aménagement de poste. Sans succès. Le 14 juin 2010, elle a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, et l'hôpital affirme ne pas avoir de solution de reclassement pour elle.
Selon Rue 89, qui a révélé l'information, Marie Pezé, qui perd du coup «ses fonctions de responsable pédagogique, d'experte devant les tribunaux, et d'enseignante à l'université», afférentes à son poste, va poursuivre son ancien employeur.
En septembre 2008, je lui avais rendu visite. Elle venait de publier un témoignage qui allait connaître un joli succès d'édition, Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés (Pearson). Je l'avais suivie une
journée, dans l'intimité de sa consultation. Elle m'avait raconté comment «cette orgie
de violence sociale» dont elle était témoin lors des consultations l'avait usée...
Extait de l'article.....................
"Tout au bout du couloir à gauche, il y a un bureau impersonnel, avec des planches d’anatomie au mur et un calendrier bancal. C’est là qu’échouent ceux que le travail a broyés. Quand ils arrivent, ils ont le regard «vide, sidéré, hagard, la pensée défaite», écrit Marie Pezé. En 1997, quand elle a créé la consultation, Marie Pezé ne pouvait que constater l’ampleur des dégâts, après des mois de souffrance silencieuse. «Certains arrivaient dans des états de psychose hallucinatoire, de véritables maladies mentales, des dépressions comme je n’en avais jamais vu.» A force de voir des employés usés défiler dans leur bureau, les médecins du travail ont compris : aujourd’hui, ils adressent les gens un peu plus tôt. Chaque jour gagné est un pas de plus vers le retour à la surface."
Marie Pezé est psychosomaticienne, elle s’occupe du corps et des âmes. Elle travaille à l’hôpital de Nanterre depuis trente ans. La chirurgie de la main l’a naturellement conduite vers la prise en charge des souffrances mentales. «On voyait des gens opérés revenir au bout de quelques mois. Ils étaient dans une usure physique et morale effrayante à regarder.»Marie Pezé se forge vite son idée : c’est en retournant au travail qu’ils ont lâché prise. Au milieu des années 90, elle décide qu’elle s’occupera de ça, désormais : faire parler ceux que le travail a déchirés pour les aider à comprendre l’enchaînement fatal. Elle est une des premières en France à créer une consultation sur la souffrance au travail.